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jeudi 8 août 2013

Projet "APHRODITE"

Durant la dernière année de la seconde Guerre Mondiale, les alliés ont voulu mettre au point des armes ayant un pouvoir de destruction beaucoup plus important que les armes "classiques". On pensera tout d'abord à la bombe atomique, mais il y a eu d'autres programmes, plus "exotiques".

Un "vieux" B-17, mais qui 

Parmi ces programmes, on trouve une sorte de drone avant l'heure : le programme de l'Army Air Force : "APHRODITE" et l'équivalent de l'US Navy "ANVIL". L'idée était de téléguider un vieux bombardier bourré d'explosifs surpuissants sur des cibles en Allemagne…et ça c'est plutôt mal passé.


Juin 1944 : l'Allemagne nazie commence à voir le début de la fin, l'armée de l'air des alliés possède la maîtrise des airs, et pourtant les objectifs durci qui résistent aux bombardiers alliés sont nombreux : bunker, usines souterraines, abris de sous-marins etc...

A cette époque, la précision des bombardements n'était pas du tout la même qu'aujourd'hui, le concept du "une bombe, une cible" relevait encore de la science fiction. Cela signifiait aussi que attaquer un objectif durci demandait des vagues complètes de bombardiers, et encore sans garantie du résultat…mais pourquoi ne pas utiliser les vieux bombardiers en avion télécommandés, puis les bourrer d'explosifs pour les envoyer sur des objectifs difficiles à atteindre ?

Le général Jimmy Doolittle était convaincu, et lança le programme en juin 1944. A cette époque, l'armée allemande commençait à battre en retraite, mais les armes V1 et V2 commençaient à poser une menace très sérieuse. Les alliés lancèrent donc l'opération "Crossbow" (Arbalète) pour détruire les centres de production des V1 et V2 par tous les moyens (bombardement en tête), mais le général Carl Spaatz constate rapidement que les bombardements sont inefficaces : les cibles étaient bien trop défendues, enfouies sous des tonnes de béton. Bien que plus de 20% des bombardiers alliés soit affectés uniquement à cette tâche, la production des V1 et V2 ne faiblissait pas.

Un B-17 en configuration "Aphrodite", avec le cockpit décapotable...


Aphrodite répondait à ce problème : guider un avion bourré d'explosif sur une cible même protégée serait plus efficace qu'un tapis de bombe. Il fallait encore adapter les vieux bombardiers pour pouvoir les contrôler depuis le sol, ce sera le rôle des hommes du 562nd Bomb Squadron.

En un temps record, les hommes de cet unité vont préparer 10 drones et 4 avion mère. Les drones étaient de vieux B-17 "Flying Fortress" ou B-24 à bout de potentiel, dont tous les équipements non essentiels étaient démontés, et le toit du cockpit découpé. Il fallait en effet avoir deux pilotes à bord pour décoller et mettre l'appareil sur la bonne route, la télécommande ne permettant pas de faire décoller ou de guider l'appareil avec précision…

Vue du cockpit...un peu inhabituelle pour un B-17

A bord de l'appareil, deux caméras de télévision seront installées, une pour la vision avant, l'autre pour surveiller les instruments. Le système de guidage de la bombe "Azon" étant installée pour guider l'appareil dans la phase finale. Pour finir la transformation on chargeait  pas moins de 9 tonnes d'explosifs "Torpex", l'un des explosifs les plus puissants de l'époque, par container de 30 kilos qui devaient être reliés tous ensemble de manière à exploser lors de l'impact.

Sur le papier, l'appareil devait décoller avec un équipage à bord, emmener le bombardier à moyenne altitude et le diriger vers la mer avant de sauter en parachute. L'avion convoyeur prenait ensuite le relais, guidant l'appareil jusqu'à sa cible, où un plongeon final donnait un beau feu d'artifice.

C'était la théorie…



En réalité, le système n'a jamais marché de manière satisfaisante..trop complexe, trop sensible, pas assez robuste : le programme sera un échec.

La première mission a lieu le 4 août 1944…arrivé au milieu de la manche, le système se dérègle…et le B-17 plonge dans la mer sans exploser…échec total, tout le monde n'a plus qu'à rentrer…il en ira sensiblement de même pour les 18 missions suivantes.

Un autre souci viendra de la traditionnelle rivalité entre armée de l'air et marine, les deux services refusant de partager leurs technologies et retour d'expérience…

Une caméra permettant de suivre le vol de l'appareil à distance.


Les aviateurs avaient l'expérience de l'armement et du désarmement de bombe de forte puissance, alors que la Navy ne l'avait pas…pour éviter tout accident, le bureau de l'aviation navale va mettre au point un système de sécurité électronique, devant empêcher toute détonation…

Seulement voilà, le système avait un défaut, de taille : dans certaines conditions, le système pouvait non seulement s'armer…mais surtout exploser tout seul…les techniciens au sol vont rapporter le fait au chef de programme, mais celui-ci juge que "le système a été conçu par des experts et ne doit pas être modifié sur le terrain"

Le 12 août 1944, l'US Navy lance une mission pour détruire le site de Mimoyecques, site de V-3 dans le nord pas de calais. L'objectif a déjà été attaqué par des bombes "Tallboy" et est en piteux état, mais les alliés ne veulent pas prendre de risque, en envoyant un drone pour détruire à coup sûr le site.

Le B-24 transformé pour l'occasion est piloté par le lt Wilford Willy et le lt Joseph Kennedy Jr. Joe Kennedy junior n'est autre que le fils de l'ex-ambassadeur américain en Grande Bretagne, Joseph Kennedy, qui espère que son fils aîné deviendra président des Etats-Unis après la Guerre.

Le lieutenant Joseph Kennedy Jr

Joe Kennedy junior en est à son second déploiement au combat, comme pilote de B-24 (appelé PB4Y-1 dans la Navy) et aurait pu choisir de rester dans la lutte anti-sous marine, mais intrigué par Anvil, il a préféré être volontaire pour piloter les drones, mission qui n'est pas de tout repos avec près de 9 tonnes d'explosifs dans l'appareil, et un système qui est encore loin d'être mature.

L'appareil vole encore au dessus du territoire anglais et arrive au dessus de la manche, lorsque les deux pilotes passent le contrôle du drone au "Mosquito" qui les escortent. Ils entament une ultime vérification avant de sauter en parachute, lorsque sans aucun avertissement, l'appareil explose dans une gigantesque boule de feu.

Les 9 tonnes de torpex viennent d'exploser, dans une déflagration impressionnante. Les deux pilotes sont tués, on ne retrouvera même pas les corps. Il y aura en outre plus de 50 victimes au sol par l'effet de souffle et les débris qui retombent sur la ville de Blythburgh, dans le Suffolk. Le Mosquito qui suivait l'appareil est déséquilibré mais le pilote parvient à reprendre le contrôle de son appareil. A bord de cet appareil, se trouve un autre "fils de", il s'agit du colonel Elliott Roosevelt, fils du président, qui totalisera pas moins de 300 missions de combat à la fin de la guerre.

La nouvelle de la mort du fils aîné des Kennedy ne passe pas inaperçue. Malgré la censure, la nouvelle filtre, et bientôt, c'est le programme anvil qui est amené sous les projecteurs par les responsables de la marine, et le programme Aphrodite est critiqué également dans la foulée. La mort de pilotes, mais aussi les implications politique de la disparition du fils aîné Kennedy va amener les responsables de la Navy et de l'Air Force à annuler rapidement le programme.

Un B-24, aussi transformé en drone pour le programme Aphrodite ou Anvil

L'absence de résultat probant, et la perte de deux pilotes, dont le fils d'un homme politique très en vue ont conduit à l'annulation pure et simple du programme…mais une comparaison entre ce programme et les autre expériences contemporaines menées en Allemagne au même moment permet aussi de se rendre compte du retard des alliés par rapport aux V-1 et V-2 par exemple. Les résultats du projet Manhattan, qui conduira à la mise au point de la bombe atomique, ainsi que la mise au point du B-29 vont éclipser ces "projets bricolages" qui ont tentés d'utiliser des technologies qui n'étaient pas encore au point. 

Il faudra notamment attendre la révolution électronique des années 60 pour réussir à mettre au point un système fiable pour contrôler des drones….le terme de drone n'existait d'ailleurs même pas en 1945 ! Il faudra encore attendre plusieurs décennies avant que le drone devienne un outil utilisable et non pas un concept manquant de fiabilité

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