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mardi 19 mars 2013

L'avion hypersonique : le X-15 (3/4)

Au début de 1961, le X-15 entamait une nouvelle carrière, passant du prototype testé par la North American à un appareil expérimental utilisé par l'Air Force et la NASA.

Les quatres objectifs de cette année 1961 étaient de confirmer les caractéristiques de vols annoncés entre Mach 3 et Mach 4,5, d'analyser l'échauffement de l'appareil au cours de ces vols, de mesurer sa stabilité lors du vol spatial, ainsi que la performance du pilote lors des phases de fortes accélérations et du vol en apesanteur (les vols à haute altitude comportant entre une et deux minutes d'apesanteur).

Largage du X-15-3, après réparations...


Ce dernier point, peut-être le moins médiatisé du programme, servira de base aux études sur le comportement de l'homme dans l'espace. C'est ainsi que avant même que les astronautes ne partent en orbite autour de la terre, on connaissait déjà les effets des fortes accélérations suivies de périodes d'apesanteur sur le corps humain.

Les résultats de ces vols vont aussi permettre la mise au point plusieurs techniques pour la rentrée et le guidage atmosphérique à très haute altitude. L'utilisation de l'augmentation de stabilité en condition réelle sera ainsi déterminant pour l'amélioration des lois de commandes 

Le X-15 subira de nombreuses modifications tout au long de cette période : un système de stabilisation de secours simplifié, la dérive ventrale sera raccourcie, car elle présentait une tendance à déstabiliser l'avion lorsqu'il volait avec un angle d'attaque élevé, ce qui arrivait somme toute assez souvent. Cela permettait également d'augmenter le rapport portance trainée de 4,25 à 4,5, ce qui améliorait la portée de l'appareil. Le XLR-99 sera modifié lui aussi car il avait tendance à caler au démarrage.

Les premiers pilotes du X-15 : (de g à d) : Petersen, Armstrong, Rushworth, McKay, White et Walker


Le 11 octobre 1961, Bob White se fait une petite frayeur : lors de sa rentrée dans l'atmosphère, il commence à voir son hublot se fissurer…on découvrira ensuite que le vitre n'était pas conforme et n'aurait jamais du être installé pour un vol à haute altitude…et le vol suivant, rebelote : Bob White voit (encore) son pare-brise se fracturer à Mach 2,7…heureusement, seul le panneau extérieur craque, le panneau intérieur n'est pas touché. Bob White se pose ensuite en utilisant son seul hublot valide, et constate qu'il est tout à fait possible de procéder ainsi ! Le problème venait de la structure entourant la vitre qui s'était dilatée pendant le vol, amenant à la rupture de la vitre. La structure en Inconel sera remplacée par une autre plus épaisse en titane, qui se dilatait moins que l'Inconel X.

Dans le cas où les deux vitres viendraient à se fracturer, la procédure prévoyait de larguer le canopy en finale, et que le pilote fasse son approche "en décapotable". Joe Engle, autre pilote sur X-15, dira plus tard qu'il avait emporté dans la poche de sa combinaison une écharpe de soie blanche à passer autour de son scaphandre dans le cas où il devrait rentrer avec un X-15 décapoté...

Il fallait encore tester le MH-96, le système de contrôle de vol adaptatif fabriqué par Honeywell pour le programme de la navette spatiale de l'Air Force, le X-20 "Dyna-soar". Honeywell avait déjà réalisé des tests sur un F-101 "Voodoo", mais il manquait une expérience à haute vitesse. La destruction accidentelle du X-15-3 au banc fournira l'occasion de monter le MH-96 à bord du X-15.

Le MH-96 était le premier système d'augmentation de stabilité à gain variable. Le gain variable signifie que la réponse de l'appareil est invariante aux sollicitations du pilote dans tout le domaine de vol. Pour vous donner une idée, cela veut dire que si le pilote bouge son manche de 1° vers l'arrière, l'appareil s'inclinera à 5° par seconde, quelle que soit la vitesse ou l'altitude. Sur un système classique, si le pilote incline son manche de 1°, les surfaces de vol s'inclinent de 3°, ce qui signifie que l'avion réagira beaucoup plus doucement à basse vitesse que à haute vitesse…un même mouvement sur le manche appliqué à basse vitesse pourra incliner légèrement l'avion, alors que le même mouvement à haute vitesse peut amener l'avion à la rupture structurelle ! Le gain variable permet donc de corriger ce défaut : en contrepartie, le pilote perd la "sensation" de l'avion, l'appareil ne devenant pas "mou" à l'approche du décrochage, vu que le système compense jusqu'à ce que l'avion s'arrête de voler… Un tel système était donc vu comme dangereux par certains pilotes…et c'est une critique que l'on retrouve aujourd'hui à propos du "fly by wire" où l'ordinateur contrôle l'avion. C'est aussi pour cela que l'on disait que "pour apprécier le MH-96, il fallait être un bon pilote..et avoir un esprit ouvert ! Le pilote qui sera le plus impliqué dans la mise au point et le test du système n'est autre que Neil Armstrong…l'expérience gagnée à cette occasion lui servira beaucoup pour le préparation des missions Apollo où un système similaire était utilisé, fortement inspiré par…le X-15 !

Les commandes de vol du X-15...et ses trois manches à balai...


Plusieurs vols d'essais seront réalisé avec le MH-96, dont un avec Neil Armstrong aux commandes le 20 avril 1962. Ce jour là, Armstrong va avoir quelques sueurs froides…le système consomme plus d'ergols que prévu, et Armstrong doit pomper du carburant d'un réservoir à l'autre pour équilibrer l'appareil…pendant ce temps, il ne s'aperçoit pas que son appareil, arrivé au sommet de sa trajectoire, ne redescend pas, mais commence à monter légèrement…au virage suivant, censé casser sa vitesse, l'appareil ne tourne pas…Armstrong est en train de rebondir sur les couches hautes de l'atmosphère, et il passe au dessus d'Edwards à Mach 3 et 30km d'altitude…et se dirige vers la Californie. Heureusement, Armstrong ne perd pas son sang-froid légendaire, et attend la fin du rebond pour faire rentrer le X-15. Il va ensuite revenir vers Edwards par le sud, sur la piste 35. Averti, les équipes de secours se mettent en route pour couvrir les 18km les séparant de la piste 35 avant que le X-15 n'arrive. Plus de peur que de mal au final, mais le vol aurait pu mal se terminer. Milt Thomson appellera plus tard ce vol le "cross country flight" d'Armstrong.

Piloter le X-15 ne signifie pas perdre son sens de l'humour....

Un autre problème que rencontreront les pilotes sera d'atteindre une altitude précise au cours d'un vol…il faut dire que l'altitude atteinte par le X-15 dépend de beaucoup de facteurs, dont certains ne sont même pas sous le contrôle du pilote. Par exemple, le XLR-99 ne délivrait pas toujours la même poussée, oscillant entre 26 et 27 tonnes de poussée…une différence de 600 kg de poussée se traduisait par une différence d'altitude de 2,5 km à l'arrivée…de même une erreur de seulement 2° dans l'angle d'attaque du X-15 se traduisait par un vol culminant 5 km plus haut que prévu…prenant en compte toutes ces possibilités, le pilote pouvait très facilement dépasser son objectif de vol...
c'est ainsi que le 17 juillet 1962, Bob White emmène le X-15-3 pour un vol devant le mener à 93 km d'altitude, mais plusieurs dispersions vont l'emmener 10 km plus haut que prévu…brisant ainsi le record absolu d'altitude à 103 km d'altitude.

Le premier accident sérieux arrive le 9 novembre 1962: le 6671 part pour le vol n°074 avec Bob McKay aux commandes. Le vol tourne court lorsque le moteur se bloque à 30% de la puissance espérée. McKay coupe le moteur et commence une descente en urgence. Ses flaps ne sortent pas avant l'atterissage et le X-15 impacte le sol beaucoup plus durement que prévu. Le patin gauche cède, et l'appareil part en dérapage avant de finir dans un tonneau. McKay a eu le temps d'éjecter son canopy. Malgré cela, il reste prisonnier de son appareil qui s'est retourné. Il souffrira de plusieurs vertèbres brisées et de brûlures aux poumons suite à l'ingestion de vapeurs d'ammoniac, mais pourra quand même re-piloter le X-15 au terme d'une année de convalescence.

Le X-15-2 est presque entièrement détruit


Le X-15-2, très endommagé dans l'accident, sera reconstruit en X-15-A2 : allongé de 1 m, avec deux réservoirs de carburant fixés sous le fuselage et un nouveau revêtement ablatif (qui se consume pendant la rentrée dans l'atmosphère), il partira vers des sommets plus haut encore ! Le X-15-2 revolera le 28 juin 1964 avec cette nouvelle configuration.

A la fin de l'année 1963, tous les objectifs initiaux du programme sont atteints, c'est un succès…mais au même moment, on apprend l'annulation de la part de l'Air Force de la navette pilotée, le X-20 "Dyna Soar". Malgré cela le programme du X-15 continue…et le projet du X-15-A2 est maintenu. Un an plus tard, à la fin de 1964, les appareils commencent à fatiguer : crique et plissement sur le revêtement, usure de certaines parties. De plus, il n'y avait plus deux X-15 identiques : au gré des accidents/reconstructions/modifications, les appareils vont évoluer de manière séparées, donnant ainsi une personnalité propre à chaque avion, mais ce qui compliquait beaucoup la tâche des techniciens et des pilotes pour passer d'un avion à l'autre.

Finalement, après de longues batailles budgétaires, le programme allait pouvoir continuer, son financement étant assuré jusqu'en 1968.

Le "nouveau" X-15-A2.

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