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mercredi 13 février 2013

Bombe nucléaire sur New-York

L'oiseau d'acier de Sanger

Comment envoyer une bombe atomique sur New York ? Facile me direz-vous, compte tenu des moyens actuels…seulement maintenant si je vous dis que nous sommes en 1942, cela vous semblera un peu plus compliqué…

Direction New-York ?


Pour mieux situer cette histoire, il faut comprendre une différence fondamentale entre les alliés et l'Axe au cours de la seconde Guerre Mondiale. Les alliés, américains en tête, se sont toujours focalisés sur la quantité de leur équipements, pensant à juste titre que la quantité virtuellement sans limite d'un équipement compenserait toujours son manque de fiabilité ou ses faiblesses.  Tout à fait à l'opposé, les allemands se sont lancés dans une véritable course technologique, portant leurs efforts sur des programmes qui avaient au bas mot une vingtaine d'années d'avance voire plus, ce qui se faisait naturellement au détriment de la quantité. Lorsque l'on voit tout ce que l'Allemagne nazie avait au fond de ses cartons à la fin de la Guerre, on ne peut qu'être impressionné de voir une préfiguration des 50 années qui allaient suivre.

Berlin, 1942 : une obsession commence à se dessiner chez Hitler : celle de bombarder les Etats-Unis avec de nouvelles armes terrifiantes dont il suit le développement. N'oublions pas que l'Allemagne travaille sur la mise au point de la bombe atomique, et qu'Hitler ne rêve que d'une chose : pouvoir l'expédier directement aux Etats-Unis. C'est dans ce cadre qu'est lancé le projet "Amerika Bomber". Les solutions sont nombreuses, allant des bombardiers conventionnels à très long rayon d'action jusqu'au missile balistique de l'équipa de Von Braun. Une autre solution est présentée au Furher, il s'agit du projet RaBo ou Raketenbomber, bombardier fusée.

Eugen Sanger

Conçu par Eugen Sanger et Irene Bredt, le RaBo ou "Silbervogel" ("l'oiseau d'acier") était un concept totalement nouveau : un bombardier à très long rayon d'action, selon le principe du fuselage porteur ("lifting body", que l'on retrouvera dans le concept de la navette spatiale, trente ans plus tard). Ce fuselage porteur lui permettait d'effectuer des "bonds" atmosphériques. L'idée est simple dans son concept, mais difficile à mettre en œuvre : l'appareil est catapulté depuis un traîneau, où il est accéléré à près de 800 km/h. Une fois détaché de son traîneau, il allume son moteur fusée pour grimper à 145 km d'altitude (c'est-à-dire dans l'espace). Arrivé en haut de cette trajectoire, il redescend avant de rebondir en ricochant sur les couches denses de l'atmosphère terrestre, ce qui lui redonne de l'énergie pour faire un bond supplémentaire et ainsi de suite. L'énergie totale disponible diminue à chaque bond, jusqu'à ce que l'appareil soit forcé de rentrer dans l'atmosphère.

Schéma de l'appareil envisagé

L'idée du Reich était donc d'utiliser cet avion en l'équipant d'une charge  nucléaire pour aller bombarder New York. D'après les calculs, l'appareil aurait pu transporter une charge utile de 4 tonnes jusqu'aux Etats-Unis, le pilote pouvant ensuite aller se poser sur une base au Japon à l'issue de sa mission ,à près un voyage de plus de 15 000 km.

Sanger avait déjà proposé une première version de son appareil au Reich dès 1941, mais sa proposition avait été rejetée face à la complexité de l'appareil. Néanmoins, en 1942, la situation avait changé, Hitler faisant  du bombardement de l'Amérique une priorité.

La Guerre sera bien trop courte pour mettre au point cet appareil, qui ne dépassera jamais le stade de la maquette.  Après la Guerre, Sanger et Bredt seront accueillis en France pour poursuivre leurs travaux (et ne seront jamais accusés de collaboration avec l'ennemi, comme beaucoup de scientifiques de haut niveau).

Schéma de l'appareil sur son rail de lancement

En 1945, Staline enverra son fils Vasily et Grigori Tokaty pour tenter d'enlever Sanger et Bredt pour les emmener en URSS, mais les services secrets français interviendront et feront échouer le complot à la dernière minute.

Si le "Silbervogel" présentait des caractéristiques exceptionnelles, était-il pour autant réalisable ?  Lorsque l'on voit tous les problèmes que la NASA devra résoudre dans les années 60 pour faire un avion spatial avec le X-15, on est en droit de se demander si un appareil dépourvu de servocommandes  avec des commandes de vol par câble aurait pu viser précisément un objectif comme New York depuis l'Allemagne. On est généralement d'accord pour dire aujourd’hui qu'un appareil de cette taille n'aurait pas été contrôlable à haute altitude et grande vitesse sans assistance informatique.

Entre plans et images de synthèses : présentation du Silbervogel

Autre découverte d'après guerre : en reprenant leurs travaux, Sanger et Bredt découvriront que leur modèle d'écoulement aérodynamique était faux, les températures étant beaucoup plus importantes que prévu et de ce fait l'appareil aurait littéralement fondu lors de son premier rebond ! Pour contourner ce problème il aurait fallut ajouter un bouclier thermique plus grand, au détriment de la charge utile déjà faible…bref, ce projet n'aurait jamais volé avec succès, la technologie n'était juste pas prête.

Les travaux du Silbervogel ne seront pas perdus, bien au contraire : l'US Air Force mettra au point sa navette spatiale avec le projet du X-20 "Dyno-Soar", et même si ce programme sera abandonné, les "lifting bodies" seront testés par la NASA, et déboucheront sur la navette spatiale.

Autre idée développée pour le "silbervogel", le "refroidissement régénératif" (ou en anglais "Regenerative cooling") qui est utilisé sur tous les moteurs fusées de nos jours. Il s'agit de refroidir la tuyère du moteur en faisant circuler à l'intérieur dans des tuyaux dédiés une partie du propre carburant de la fusée. De cette manière, la tuyère reste à une température supportable, et la fusée n'a pas besoin d'emporter un liquide de refroidissement supplémentaire. Ce système est encore appelé le "design Sanger Bredt", même si cette appellation tend à disparaitre devant l'omniprésence de ce type de design.

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