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samedi 17 novembre 2012

Cook and Craigie

Le nom ne vous dit sans doute rien…et c'est normal !

Pour mieux comprendre ce qu'est ce plan, un petit retour à la fin des années 40 s'impose. A cette époque, la conception d'un avion d'arme obéissait toujours au même cycle :
  • Dans un premier temps, le gouvernement émet une "fiche-programme" énumérant les besoins à satisfaire, en terme d'autonomie, de motorisation, de distance franchissable ou autre. Cette fiche est envoyée aux différents constructeurs d'avion.
  • Les constructeurs peuvent répondre à cette offre en soumettant une proposition, qui doit répondre (plus ou moins) à la fiche programme.
  • Le gouvernement choisit plusieurs propositions (deux ou trois) et signe un contrat au constructeur pour un prototype.
  • Le constructeur réalise alors les liasses de plans et fabrique le prototype. Il s'agit d'une fabrication "à la main", la chaîne d'assemblage finale n'étant pas réalisée.
  • Le constructeur procède alors aux premiers vols et modifie le prototype suivant les besoins. N'oublions pas que nous sommes encore à l'époque de la règle à calcul : on ne sait pas comment l'avion va se comporter en vol de manière précise. Les pilotes d'essais ont d'ailleurs parfois des surprises.
  • Dans une seconde phase d'essais, c'est le gouvernement qui prend en main les prototypes pour essai. Il évalue les qualités de vol de l'avion et vérifie qu'il répond bien aux besoins de la fiche-programme. Il donne ensuite son évaluation aux constructeurs, avant de choisir un appareil.
  • Le constructeur choisi reçoit alors un contrat pour une production en série, et réalise la chaîne d'assemblage qui va assembler les appareils de série.
C'est un processus qui prend du temps, et surtout demande à un constructeur de réaliser un prototype qui ne débouchera peut-être sur aucune commande.


Au tout début des années 50, pressés de disposer de nouveaux appareils en service, deux généraux de l'US Air Force vont proposer un nouveau processus. Il s'agit du général Laurence Craigie, chef d'état major adjoint de l'US Air Force pour le développement et Orval Cook, chef d'état major adjoint pour le matériel.

Le général Laurence Craigie
Les deux généraux vont proposer de "sauter" la phase prototype, en passant des contrats directement au constructeur pour une production à la chaîne. L'idée est séduisante : elle permet de réduire le temps de développement des nouveaux appareils. Elle signifie également que tout défaut trouvé sur les premiers avions devra être corrigé sur la chaîne d'assemblage et sur les appareils déjà produits. Un défaut mineur peut être facile à corriger, mais d'autres défauts beaucoup plus majeurs peuvent engloutir des millions (voir le cas des ailes de l'A380).

Cette idée est donc beaucoup plus risquée que le cycle traditionnel, mais Cook et Craigie avaient observé que les prototypes testés étaient très différents des avions de série qui suivaient, et que potentiellement toutes les données accumulées par le prototype pouvaient se révéler fausses.

Le général Orval Cook
Un des premiers appareils à tester ce système fut le F-102 "Delta Dagger"…basé sur le prototype du XF-92, il était considéré comme un programme faiblement risqué. Malheureusement, la loi des aires n'ayant pas été appliquée, l'appareil demanda une série de rétrofits longs et coûteux, à tel point qu'une nouvelle version fut conçue, le F-106 "Delta Dart" qui n'était rien d'autre qu'un F-102 incorporant toutes les modifications demandées par l'Air Force. Si j'étais mauvaise langue, je dirais que le F-102 n'a été rien d'autre qu'un prototype du F-106…en beaucoup plus cher !

Le F-102 "Delta Dagger"
Autre exemple, plus réussi : le Boeing 777. Entièrement conçu par ordinateur, le poids du premier appareil était de 10kg à peine au dessus du poids calculé par ordinateur. Une belle performance, largement permise par l'augmentation des  capacités de calculs informatique..

Pour l'USAF, le plan Cook and Craigie a permis de faire entrer des appareils plus rapidement en service que si le cycle traditionnel avait été suivi, mais de nombreuses modifications nécessaires ont par la suite fait exploser le coût de ces programmes…cas du F-104 qui devra changer de siège éjectable, passant d'une éjection vers le bas à une éjection vers le haut…avec à la clé un cockpit entièrement redessiné. C'est aussi le cas du C-5 "Galaxy" dont les ailes étaient trop fragiles, à tel point que tous les C-5 devront recevoir une nouvelle voilure renforcée…les problèmes de micro fissures sur les ailes des A-380 sont de la rigolade à côté de ce que l'Air Force a dû remplacer sur ses C-5 !

Comme on le voit, ce plan comporte des risques, mais on pourrait également citer le cas de F-100 "Super-Sabre" pour lequel un prototype avait été construit. Devant les résultats de vol, il fut décidé de raccourcir la dérive verticale, jugée trop grande. Trois ans plus tard, cette même dérive sera rallongée sur tous les appareils de série. Entre temps, l'USAF avait fait connaissance avec les instabilités aérodynamiques du Sabre, rendant cette modification nécessaire. Dans ce cas précis, le rétrofit des dérives est devenu nécessaire, malgré la réalisation d'un prototype.

Le F-100 "Super Sabre"
Aujourd'hui, le plan Cook and Craigie est si répandu qu'il ne porte plus de nom..l'ère des prototypes est terminée ! L'informatique permet de concevoir des avions plus sûrs et dont le comportement en vol est déjà connu avant même le premier vol, le but des essais en vol étant de "confirmer" les calculs, non plus d'écrire le manuel de performance !

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