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mardi 23 octobre 2012

Mystérieuses boites noires (3/3)

Troisième partie : les boîtes noires aujourd'hui

La disposition CVR + FDR (Cockpit Voice Recorder + Flight Data Recorder, enregistreur voix et paramètres) installés dans la queue de l'appareil pour maximiser les chances de survie des boîtes noires est restée inchangée depuis son introduction sur le Boeing 707. Mais si l'architecture générale n'a pas bougé, le fonctionnement des boîtes noires a beaucoup évolué.

Un "œuf" enregistreur sur bande magnétique, monté sur certains Boeing 707

Les premiers modèles, équipés d'un enregistreur sur bande métallique, possédaient le même défaut que le Hussenographe : la bande était à usage unique et devait  être changée régulièrement. Les principaux modèles avait une autonomie d'à peu près 300 heures en enregistrement. Ces modèles ont vite été remplacés par des modèles à bande magnétique. La bande magnétique avait l'avantage d'être réutilisable, ce qui réduisait considérablement le besoin de maintenance des boîtes noires.

Dans les années 90, l'A330 fut équipé d'un enregistreur numérique, pouvant enregistrer plusieurs centaines de paramètres. Ce nouveau modèle était de type "solid state" c'est-à-dire n'ayant aucune partie mobile, l'enregistrement étant effectué sur des puces mémoire (sorte de clé USB en beaucoup mieux pour ceux qui ne font pas d'électronique). La capacité est de 300 paramètres pour le FDR.

Le nombre de paramètres était tel qu'il faut des calculateurs supplémentaires pour gérer les enregistreurs de vol : il fallait une unité centralisée capable d'extraire et de mettre en forme toutes les données issues des différents calculateurs avant de les mettre en forme pour les envoyer aux boîtes noires, qui n'ont dès lors plus qu'un rôle d'enregistrement pur et simple des données. C'est le rôle du FDAU - Flight Data Acquisition Unit ou unité d'acquisition des données de vol.

De plus, il fallait mettre au point un FDAU rapide, capable d'enregistrer les paramètres en temps réel sur la boîte noire, vu que lors d'un crash, les dernières secondes du vol sont souvent les plus cruciales pour les enquêteurs.

En parallèle, un autre système d'enregistrement est mis en place : le Quick Access Recorder (ou Enregistreur à accès rapide) qui enregistre plusieurs milliers de paramètres sur des cartes PCMCIA (aussi appelées "biscottes" par analogie de format dans le milieu militaire). Cet enregistreur est utilisé pour le suivi de l'avion et la maintenance, mais il n'enregistre pas en temps réel, et en cas de crash, il est très souvent détruit, d'où l'intérêt de garder des boîtes noires en complément.

Le FDAU s'interface également avec l'ACARS qui est un système de transmission de données par satellite ou radio (le schéma datant des premiers temps de l'A330, seule la partie radio est présentée).

Les chaînes de mesures sur Airbus A330/A340

Le type de multiplexage et la mise en forme des données sont spécifiques à chaque avion. Pour pouvoir décoder le contenu d'une boîte noire, il faut utiliser les documents constructeurs expliquant comment interpréter et extraire les données. Ce sont généralement de très gros documents qui, comme le découvrent souvent les enquêteurs après un crash, ne sont pas toujours maintenus à jour.

La documentation des paramètres de vol pour Boeing 777...il n'y a pas que "quelques" paramètres

C'est également à cette occasion que les boîtes noires seront équipées d'une balise de transmission, capable de transmettre des signaux acoustiques sous l'eau pendant une durée de deux mois. Ces balises sont une aide précieuse pour retrouver les enregistreurs en cas de crash en milieu maritime.

Presque deux décennies plus tard, sur l'A380, la chaîne de mesures des boîtes noires est encore plus étendue. Avec près de 200 000 paramètres enregistrables sur plus de 80 calculateurs, il fallait une architecture dédiée pour assurer la mise en forme et l'envoi aux boîtes noires d'un maximum de données. Seuls 1200 paramètres sont enregistrés dans le Flight Data Recorder. C'est déjà une nette amélioration comparé à l'A330 qui ne peut enregistrer que 300 paramètres ! L'architecture est toujours la même : un CVR et un FDR.

En haut, le Flight Data Recorder, avec son unité de traitement à g et le caisson blindé à droite. Le cylindre blanc à l'extrémité est la balise de localisation. En bas, le Cockpit Voice Recorder, avec son caisson blindé et sa balise de localisation.
Il n'y a plus de QAR sur l'A380, il est remplacé par deux serveurs sécurisés, reliés par de l'Ethernet (protocole AFDX) au reste de l'avion, ce qui assure un débit de données beaucoup plus important que les liaisons série utilisées jusque là.

L'A350 qui est encore en gestation, utilisera une architecture similaire, avec deux enregistreurs de vol (voix + paramètres) reliés à un CDAM (Centralized Data Aquisition Module) ou module centralisé d’acquisition des données. Ce module est relié au cœur de réseau de l'avion, ce qui lui permet d'acquérir les données de tous les modules de l'avion. Toutes les transmissions se font en AFDX, assurant un débit élevé de communication.

Sur le Boeing 787, Boeing a choisi d'intégrer deux enregistreurs de vol EAFR (Enhanced Airborne Flight Recorders - Enregistreurs de vol aérien améliorés), combinant chacun CVR et FDR, ce qui donne de la redondance au système en cas de panne (l'alimentation électrique des deux boîtiers est faite via des bus différents) ou permet d'avoir accès à toutes les informations du vol même si une seule boîte noire est retrouvée. De plus, l'unité d'acquisition des données n'est plus située sur un calculateur, mais répartie sur plusieurs calculateurs, ce qui permet de gagner un peu de poids et de câblage, problème constant sur les avions d'aujourd'hui.

Et l'avenir ?

Si les boîtes noires sont utilisées depuis des décennies, cela ne veut pas dire que ce système soit parfait et ne peut pas être amélioré…au contraire, de nombreuses études sont entreprises afin d'envisager leur remplacement. Les arguments contre les boîtes noires ne manquent pas : toujours à bord, elles demandent d'importants moyens de récupération lors d'un crash, particulièrement en zone maritime. Des opérations de récupération de boîtes noires ont déjà eu lieu par plusieurs milliers de mètres de profondeur, souvent après plusieurs mois de recherche, ce qui est loin d'être idéal.

Autre contrainte : le faible volume des données enregistrées…un enregistreur moderne ne peut emmagasiner que quelques milliers de paramètres…en fait c'est totalement insuffisant par rapport aux centaines de milliers de signaux qui transitent à bord d'un avion de ligne moderne !

Plusieurs études ont été faites en vue de remplacer les boîtes noires. Des systèmes de transmission par satellite ou utilisant des enregistreurs éjectables en cas de crash ont été considérés, mais la solution n'est pas simple.

La transmission en temps réel par satellite coûte encore cher, de plus il n'est pas sûr que l'avion puisse continuer de transmettre ses données lorsqu'il est en "position inusuelle" (ce qui se passe souvent avant un crash). La fiabilité d'un tel système reste donc à démontrer.

Une boîte noire "éjectable" pose d'autres problèmes. En premier lieu, un problème d'intégration : il faudrait modifier tous les avions existants pour les équiper de ce système, ce qui pose beaucoup de soucis logistiques et financiers. De plus, dans quelle condition faut-il éjecter l'enregistreur ? Il ne faut pas l'éjecter trop tôt, sinon des données utiles aux équipes d'enquête seront perdues, et il ne faut pas l'éjecter trop tard, sinon,  disons que le système ne sert plus à grand-chose dans ce cas là..

Mais nul doute que d'autres solutions viendront s'ajouter à cette liste au fil des années, et qu'un jour les grosses boîtes oranges disparaitront au profit d'un système ayant le même but que celui que cherchait François Hussenot : que chaque accident soit élucidé pour faire progresser la sécurité du transport aérien.

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